Une lettre [Finlande - Norge]

C'était son rituel à lui, son grand secret, dont il n'avait même pas parlé à Berwald.

Tous les premiers dimanches du mois, il attendait que le dortoir soit vide, il s'installait sur son lit, sur la couchette du haut, et il sortait son bloc note. Sa trousse. Son joli papier à lettres, celui qui faisait moderne, élégant, et jeune homme, pas bébé.

Il rassemblait des bêtises, des bricoles, un bonbon récupéré à la cantine, une image d'un endroit qu'ils avaient visité, une feuille d'arbre. Il couchait par écrit tout ce qu'il avait fait au cours de ce dernier mois, les résultats obtenus, les progrès, les petites bêtises, les grandes découvertes.

Il se relisait un peu, corrigeait les dessins quand il en faisait, et puis il rangeait tout ça dans une enveloppe affranchie au tarif international. En souriant d'un air lointain, il cachait soigneusement sa missive sous son oreiller ; il irait la poster en ville, mercredi suivant, parce qu'il ne voulait pas que les gens de l'académie sachent qu'il faisait ça. Bien sûr, ce n'était pas interdit. Mais... au fond de lui, il craignait qu'on lui dise qu'il était trop grand pour continuer, qu'il fallait assumer son rôle de nation et laisser derrière son statut d'humain.

Les lettres commençaient toujours de la même manière :

"Äiti, Isa..."

Maman, Papa...

C'était son grand secret.

Et cet après-midi de dimanche, Tino, penché sur son carnet, adressait une nouvelle missive à ses parents.

Ce dimanche matin là, Lukas s'était levé d'humeur plutôt massacrante. Il n'avait pas envie d’être enfermé dans l'Académie aujourd'hui. Jetant un œil à son cadran, il se rendit compte qu'il était 5h30 du matin. Parfait, tout le monde dormirait à cette heure-là. Le Nordique en profitât pour sortir en douce, aller se balader dans l'immense jardin derrière l'Académie. Le silence matinal, la rosé, le bruit de l'eau alors qu'il faisait des ricochets sur l'eau, tout arriva à le calmer.

C'est les grognements de son estomac qui le ramena à la réalité. Il devrait éventuellement aller manger. Grommelant, il fit demi-tour, et se dirigea vers l’immense bâtisse. L'arrêt à la cafétéria fût brève. La table où les Nordiques s'asseyait pour prendre leur déjeuner habituellement était vide. Il était tard et ses camarades d'Aile devaient avoir trouver de quoi s'occuper.

Lukas se dit que l'occasion serait parfaite pour aller faire ses devoirs en paix. Le trajet vers l'Aile fut brève pour le blond, puisqu'il marchait tout en étant perdu dans ses pensés.

Quand il entra dans le dortoir, Norge scanna machinalement la pièce des yeux. Il fut cependant surpris d'y voir Tino.

- ............... Suomi ?

-...!!! A-aow!!

Oui, le problème, quand on prend le lit du haut, c'est que le plafond est bas, du coup. Le sursaut de surprise horrifiée du Finlandais lui vaudrait donc une bosse, vu la douleur qui irradiait dans son crâne. A dire vrai, il avait si mal qu'il en oublia de cacher aussitôt les papiers, pour se pencher plutôt par dessus la rambarde, afin de découvrir l'identité de l'arrivant. Il lui avait semblé reconnaitre la voix de....

-N-Norge!

Insérez un sourire crispé, tout en se frottant le crâne d'un air penaud et embarrassé.

Il ne sachait trop que dire, que faire. Cacher les papiers? Mais de là où se trouvait Norge, il ne devait pas les voir, donc il paraitrait seulement suspect en les dissimulant. Faire semblant de rien? Norge n'était pas Dan, il sentirait que quelque chose clochait.

Finalement, Tino décida de regarder Norge, toujours avec ce même petit sourire figé, pour interroger d'une voix qui tremblait à peine :

-Qu'est-ce que tu fais euh.... qu'est-ce que tu fais là?

.......Quelque chose lui disait que Norge n'allait pas coopérer pour cette tentative maladroite de diversion.

Le nordique ne bougea pas d'un centimètre quand il entendit le cri de douleur du plus jeune. Il fixa simplement le lit. jusqu'à ce que la bouille de Tino apparaisse. L'air gêné, un sourire aussi faux que des seins d'une actrice américaine, tout dans l'attitude du Finnois était suspect. Lukas leva imperceptiblement un sourcil. À la question, les suspicions de Norge était au maximum.

Qu'est-ce que Tino cachait ?

De son air le plus neutre, il s'approcha du lit, feignant ne rien avoir remarquer, mais sans jamais rompre le contact visuel.

- Je viens faire mes devoirs Suomi.

S'arrêtant au pied du lit, le menton levé pour être yeux dans les yeux avec son confrère, Lukas fit un petit sourire en coin.

- Et toi Suomi. Tu fais quoi ?

Parce que l'attitude de Tino était louche, parce que de toute façon, Lukas n'avait rien de mieux à faire, le scandinave décida que d'agacer le plus jeune serait amusant.

Si c'était humainement possible, Tino se crispa encore plus, adressant une prière aux dieux. Norge. En train de sourire. L'espérance de vie du Finlandais venait soudain de diminuer de 50 ans.

Mais peut-être qu'il s'inquiétait pour rien? Peut-être que c'était un vrai sourire et pas l'expression calculatrice du chat qui vient de repérer une proie et compte bien s'amuser à lui dérouler les intestins avant de la laisser agoniser sur le paillasson? ............................Tino déglutit, maudissant son imagination. Norge version chat. Ca avait beau être élégant, il n'avait pas besoin de voir ça. Surtout à partir du point de vue du rongeur.

Son rire sonna particulièrement creux et crispé, même à ses propres oreilles.

-R-rien! Je... je lisais. Oui, voilà! Je lisais, c'est tout!

.......Bien sûr, vu ses joues rouges et ses protestations, il était possible de douter de ces allégations paniquées.

Mais quel narrateur serions-nous si nous mettions nous-même notre personnage dans l'embarras?

Contrairement à certains Nordiques dans ce dortoir *tousseDanmarktousse*, Lukas possédait la compétence : "Lire l'atmosphère". Compétence qu'il aillait d'ailleurs utiliser à l'instant, pour détecter que le Finnois essayait de le bullshiter à cent milles à l'heure. C'était évident que quelque chose de louche était entrain de se passer la-haut.

Commençait alors le jeu du chat et de la souris. Si le blond était aussi gêné, il devait faire quelque chose de suspect. Pourquoi passer par quatre chemin, quand le Norvégien avait déjà une bonne idée de ce que le plus jeune devait être entrain de faire. Question de l'humilier dès le départ, Norge lança de son ton le plus mesquin.

- Qu'est-ce qu'il y a Suomi, tu fait pleurer le cyclope ?

Torturer le Finlandais devenait vraiment un de ses passe-temps favori après taper Søren. Lukas poussa donc le bouchon à l'extrême, question de rendre mal à l'aise au maximum le plus jeune.

- Tu fait une bataille cinq contre un ? Tu fais guili guili à popol ? Tu borde l'insomniaque ? Tu te rabote le gourdin, tu te poli le Chinois ? Tu dégourdi l'unijambiste ?

Il avait encore une liste longue comme de bras d'expressions similaires, mais il voulait en garder quelques une en renfort. D'abord observer combien de teinte de rouge de plus Tino allait devenir. Lukas estimait au moins trois ou quatre.

En fait de rougissement, Lukas récoltait surtout un grand regard vide. Et un air limite catastrophé.

-Mais! Mais non, j'ai fait pleurer personne, enfin... enfin je crois! Je.... C'est pas ma faute et je connais personne qui soit insomniaque, enfin sauf Freyr quand il a pris trop de café, mais il est pas là, sinon, j'aurais... ...Un Chinois? Chine?

La voix de Tino mourut lamentablement, petit filet pitoyable trahissant son incompréhension.

Mon pauvre Norge, il va falloir lui parler avec des mots simples, au Finlandais.

Ceci étant, l'objectif de le traumatiser était pleinement atteint, vu la façon dont l'adolescent restait pétrifié sur place, les yeux grands ouverts, hésitant même à respirer (des fois que ce simple geste lui vale une accusation de crime contre l'humanité supplémentaire. On ne savait jamais, après tout, pour le moment, il ne lui avait été reproché nulle offense envers la veuve Poignet et ses filles, mais ça pouvait venir).

Il déglutit, souhaitant très très fort que Berwald arrive pour le sauver. Ou même Dan.

Croire à l'aide potentielle danoise. Mon dieu. Voilà à quel point le petit père se sentait mis au pilori par les accusations obscures du Norvégien.

Devant la réaction des plus décevantes du Finlandais, Norge croisa les bras. Assumer que Tino avait une activité sexuel depuis le début était stupide maintenant que Lukas y réfléchissait. Le plus jeune allait sans doute rester vierge jusqu'à ses 90 ans. Là quelqu'un aurait pitié de lui. D'aw c'est méchant ça Norge, arrête de penser ça.

Il devait plutôt être entrain d'écrire son journal intime. Du genre: Chère journal, aujourd'hui Su-san m'as regarder et j'ai pleurer. Niark niark, tout à fait son genre.

Ou il est entrain d'écrire une lettre d'amour anonyme à Suède. Su-san je t'ai toujours aimé. Anonyme.

Voilà, tout à fait le genre du plus jeune.

Décidant qu'il n'y avait pas cent milles façons de découvrir ce que le plus jeune faisait, Norge agrippa l'échelle d'une main et grimpa adroitement vers le lit de Tino. Une fois en haut, le blond examina le territoire Finnois d'un œil d'aigle.

Rien de suspect au premier coup d'oeil. Lukas s'apprêtait à redescendre quand un bout de papier lui apparu au coin de l'oeil. C'est là qu'il vit les papiers semi dissimulés. D'un rapide geste de la main, Lukas s'en saisit. Le reste du plan était simple. Sauter en bas du lit, et lire ce que le mystérieux papier contenait.

Malgré une récente amélioration, il fallait avouer que Tino n'avait jamais été des plus efficaces face à un raid viking. Le pillage norvégien d'aujourd'hui, bien sûr, ne dérogea pas à la règle. Et là, tout le monde comprend mieux pourquoi le grand Suédois passe son temps à couver du regard le petit Finlandais.

-A-ah!!! Ei!! Norge!!

Le coeur battant, les yeux écarquillés, il se précipita à la suite du voleur, mais, moins preste et agile que Lukas, il manqua l'avant dernier barreau, et réussit à finir la descente sur les fesses, une grimace de douleur sur le visage, très vite oubliée en faveur de la peur panique qui lui serrait les entrailles.

-Rends-la moi!! Norge!!!

Et pourtant, il n'y avait pas de quoi se mettre dans cet état là.

Rien d'autre qu'une lettre d'un garçon à ses parents. Les projets pour l'été. Les camarades de classe. "On va faire un championnat de sauvetage et un de drague!" "J'ai hâte d'aller au stage de hockey, ce sera génial!" "Vous me manquez beaucoup, je vous aime."

Rien d'autre que la lettre d'un adolescent.

Totalement éloigné de ce qu'aurait du penser une future nation.

Sautant en bas de l'escalier et atterrissant gracieusement comme un chat, Lukas avait une longueur d'avance sur le pauvre Finlandais qui atterrit sur le postérieur. Le temps que le plus jeune se relève, Nor avait déjà détalé dans un autre coin et lisait la lettre. Tino chialait pour ravoir la lettre quand un son se fit entendre. Un espèce d'éternuement retenu. Levant la lettre pour se cacher, Lukas pouffa de rire. Ça en était trop. Le rire grandit rapidement, secouant d'abord ses épaules pour enfin résonner dans toute l'Aile. D'accord, voir ou entendre Lukas rire est un phénomène rare mais pas impossible. C'est seulement parce qu'il est en compagnie du Finlandais qu'il se laisse ainsi aller. Après tout, pourquoi garder un masque de froideur avec ceux qu'il considère comme sa deuxième famille ?

Le blond tendis sa lettre à Tino.

- Je ne vois pas pourquoi tu en fais tout un plat.

Il ne devait pas être le seul qui faisait cela. Lui avait la chance d'avoir Sindri ici. Il se rappelle encore comment les premières années il écrivait tout le temps au futur représentant de nation.

La vision de Norge riant était.... surprenante. Mais aussi réconfortant, chaud, et d'accord, vaguement moqueur, mais très humain. Trois choses que l'on n'associait pas forcément toujours à la Reine des Glaces du dortoir nordique.

De fait, vu le côté exceptionnel de l'affaire, Tino serrait sur son coeur la lettre, les joues écarlates, mais son embarras était à présent teinté d'un soupçon d'amusement, né tout à la fois du spectacle qu'il lui était donné d'admirer que de la réalisation, quand même, que oui, il était bien bête de s'être inquiété pour tout ça.

-Mais tu vois, tu te moques...!

Ah, le Finnois baissait les yeux, à présent, la honte reprenant le dessus, ses mains se crispant sur le papier. Ouais, bon, même si Norge avait pas l'air de se formaliser....

-Je sais qu'on est censés être plus courageux que ça, et pas.... enfin.... ........Tu en parleras pas, hein?

Tssssss, Tino, tu devrais t'en douter, depuis le temps, que les yeux suppliants permettront pas d'infléchir la volonté de Norge, mort de rire ou pas.

Norvège laissa lentement le rire mourir. S'exprimer ainsi était rare pour lui, mais à la fois tellement libérateur. Avec le temps ce genre de démonstration devenaient un peu moins rare, mais Lukas se laissait aller ainsi seulement en compagnie de ses amis les plus proches. Le masque de froideur lui servait après tout de protection contre le monde extérieur.

Le plus vieux leva la main et ébouriffa les cheveux blonds pâle de Tino.

- Ne t'en fait pas je vais le dire à personne.

Parce que contrairement à la croyance populaire, il n’était pas si méchant que ça Norge. Lui aussi à une époque écrivait toutes les fins de semaines à son petit frère, rêvant nostalgiquement de l'époque où ils vivaient en famille, lui Sindri et leurs parents. Il ne le faisait pas spécialement en cachette, mais aucun autre nordique ne l'avait surpris. Par chance.

Lukas s’étira jetant un œil au Finlandais tout dépité.

- Ça fait longtemps que tu leur écris comme ça ?

La question n’était pas méchante, seulement une curiosité que le plus vieux voulait élucider.

Un petit peu rassuré par la promesse que venait de lui faire Norge, il trouva le courage de lever les yeux vers l'autre étudiant, ses joues se colorant de rose en entendant sa question.

-Ah-euh... ....en fait....

Les mots lui manquaient, sous l'embarras. Dans un premier temps, il se contenta de hocher silencieusement la tête. Mais le poids du regard de Norge le faisait douter, culpabiliser, et bientôt un déluge de phrases se bousculaient dans sa gorge, luttaient pour franchir ses lèvres, l'amenant à bafouiller, se reprendre lutter pour continuer.

-M-mais ils s'inquiéteraient s'ils n'avaient pas de mes nouvelles! Et puis c'est ma famille, même si on ne peut plus être comme avant, même si on est censés apprendre à vivre différemment et même si... même si je change moi! Même si on va tous changer et oublier, peut-être, à un moment... Ils me manquent et surtout, je sais que je leur manque! Et... et vous êtes tous très gentils avec moi, Berwald et vous tous, mais parfois ça me manque d'entendre la voix de ma mère et je me dis que elle aussi, elle doit s'inquiéter de pas savoir ce que je deviens et je sais que c'est pas leur faute alors il faut que je continue à leur écrire...!

Il s'interrompit, hors d'haleine, tremblant de façon imperceptible.

-......tu comprends?

Il se mordillait la lèvre inférieure, l'air préoccupé.