Descente de l'Olympe (Biélorussie)

C'était la première fois de sa vie que Lituanie changeait trois fois de vêtements avant d'opter pour une tenue. Il faut dire aussi qu'il avait eu le temps, car bien que le rendez-vous - mon dieu, le RENDEZ-VOUS ! - eut été fixé en début d'après-midi, l'incroyable excitation consécutive à cet évènement l'avait tiré du lit aux environs de cinq heures du matin. Il tirailla son pull d'un grisâtre terne. C'était également la première fois qu'il regrettait de ne posséder que des vêtements en rapport avec son pauvre budget, c'est à dire des trucs informes et de qualité douteuse. D'ordinaire, il s'en moquait un peu, mais ce matin, être l'un des pays les plus pauvres d'Europe lui avait pesé.

Un rendez-vous avec Natalia. Oh, il était conscient, quand même, que la déesse n'avait daigné accepter un -unique- rendez-vous que parce qu'il y avait une contrepartie... Mais de toute façon, il lui aurait confectionné ses fournées hebdomadaires de muffins même si elle avait refusé, et elle le savait, sans doute. Alors c'était très gentil de sa part de lui concéder un peu de son précieux temps, à lui.

Même si le lieu convenu était à l'entrée du parc de l'école, tout près, il était arrivé deux bonnes heures auparavant, de peur d'être en retard. Et depuis deux heures, armé d'une rose très clichéesque, il vibrait de stress à l'idée qu'il ne s'agisse que d'un rêve, flippé à l'idée de s'éveiller.

Très ingratement (ce mot est moche mais il existe), Biélorussie n’avait jamais pensé à Lituanie en mangeant les délicieuses friandises confectionnées par lui, pour elle. Ses mains ne lui avaient pas démangé des gifles qu’elles n’avaient pu donner. Et ce matin, ce fut tout simplement la faim qui la tira de son sommeil tranquille.

Oh, malgré les apparences, elle n’avait pas oublié ce prétendu « rendez-vous » ; toutefois, la perspective n’ébranlait pas sa réalité, et quand l’heure dite approcha, ce fut à peine si elle éprouva la piqûre de la contrainte : c’était, tout bêtement, une « obligation » dont elle s’acquitterait machinalement, motivée par une contrepartie plus qu’alléchante. Sa mémoire scandaleusement sélective la préservait des impressions désagréables que Lituanie lui avait données l’autre jour.

… Puis, si la sortie lui était trop éprouvante, n’existait-il pas mille moyens d’y mettre un terme ? Forte de cette idée-là, Natalia gagna l’entrée du parc, orgueilleusement vêtue d’une épaisse robe bleu marine et de ses dix minutes de retard. Elle pourfendit la rose d’un regard indifférent et dit impérieusement à Lituanie :

« Oublie ça. »

Go, Lituanie, go ! Je suis avec toi !

Dix minutes de retard ? En Torisvision, autant dire qu'elle était à l'heure. Parce que lui, il aurait attendu sans problème jusqu'au coucher du soleil, et peut-être même un peu après. Mais ce ne serait pas nécessaire, puisque Natalia était là - NATALIA ÉTAIT VENUE !! Bon, Lituanie, t'es gentil, tu recommences à respirer vite fait, parce que c'est pas la biélorusse qui te fera du bouche à bouche quand tu auras tourné de l'oeil. Respire, on t'a dit. Tu vires au rouge. Ah, tu respirais déjà ? .... Donc, le rouge..? Ah, le rouge est normal. Ok, ok.
Sinon... Bon, en gros, il pouvait bien se foutre sa pauvre fleur là où j'pense. Enfin, en version plus élégante, parce que, Biélorussie est la créature la plus gracieuse, la plus distinguée, la plus éclatante ET la plus élégante qui aie jamais existé. Me semble que j'ai un lituanien qui parasite ma narration, là. Quoiqu'il en fut, la rose était indésirable. Le reproche intérieur que se fit Lituanie serra de façon cuisante son pôv petit coeur meurtri. Ce qui nous valut, ô joie, une excuse balbutiante.

"... P-pardon... euh... c'est... c'est p-pour toi, m... mais... euh.. mais...maismais..."

Mais elle est tellement moins belle que toi, ou une connerie du genre. Du coup, il vaut mieux te laisser bégayer et que ce soit bien incompréhensible, mon pauvre vieux, plutôt que de te ridiculiser encore plus. De toute façon, il était difficile pour lui de parler correctement, parce qu'il planait bien haut, là, sur son ptit nuage rose. Natalia, LA Natalia, était venue jusque là, avait bougé ses merveilleuses jambes, POUR LE REJOINDRE. Ah, mon dieu. Il en aurait pleuré de joie. Oui, oui, sans pour autant cesser de sourire, un sourire rayonnant, absolument écoeurant de candeur ravie.

"Je... J-je suis... j-je suis si c... content q-que tu sois v-venue !! Et... je... e-enfin, ta robe est t-très jolie... Et tu... T-tu es te-tellement... tellement b-belle !"

Oulàlà. Attention, il s'enflamme, là, le petit. Fais gaffe qu'il s'évanouisse pas sur toi, Natalia.

Et là, Biélorussie saisit Lituanie par le col, l’emporta derrière un buisson et le viola sauvagement jusqu’au coucher du soleil.
… Ah non, je me suis trompée de script.

En fait, Biélorussie resta insensible à l’admiration lituanienne, comme toujours, qu’elle trouvait excessive et franchement ~~trop mignonne~~ ridicule. Elle n’eut pas un geste pour s’emparer de la rose et se contenta d’avancer pour se soustraire aux ardents compliments qu’on lui adressait. Le sourire de cet imbécile avait quelque chose d’absolument improbable, si bien qu’il était difficile, je le dis encore une fois, de penser qu’elle en était la cause. N’aurait-elle pas pu marmonner un merci ? Non, juste cet éternel regard aiguisé par le scepticisme, les paupières alourdies d’une cruelle indifférence.

Natalia finit par se retourner. L’air d’exiger que Lituanie en finisse immédiatement avec son idolâtrie, elle lui demanda :

« Alors, tu viens ? On ne va pas rester à l’entrée tout l’après-midi… Il y a une poubelle juste-là, pour la rose. »

Mon bonhomme, la voilà qui s’engage sur une allée du parc – rendez-vous du pauvre. Je te conseille de refermer la bouche très vite et de t’élancer à sa suite avant qu’elle ne te sème. Et bon courage pour la conversation, puisque pour le moment, Natalia ne semble pas vraiment disposée à l’alimenter – oui, je sais, toi tu trouves que la regarder est amplement suffisant. Enfin, elle fera peut-être un effort, parce que je suis trop bonne.

Le temps de comprendre, et la ptite mère était déjà à cinq mètres. Oh, làlà, ça commence pas trop bien.... Il regarda rapidement la poubelle mentionnée. Mettre à la poubelle la rose destinée à Natalia, ça allait lui porter la poisse - genre il en a déjà pas assez comme ça. Alors, il la posa sur un buisson - celui-là même, où, dans un autre script, Natalia l'emportait pour jouer au scrabble - en se disant que, peut-être, quelqu'un passerait, la trouverait jolie, et l'adopterait..... Bon, gars, tu la rattrapes, la bombasse, ou tu restes là à te taper le film mental du destin tragique de ton végétal, là ??

Il la rattrapa au prix d'une brève course, pour aussitôt recommencer à bégayer d'un ton où on pouvait littéralement sentir palpiter toute la mièvrerie d'une admiration sans bornes.

"N... Natalia, tu... T-tu... ç-ça te d-dirait qu'on aille en v-ville ?"

Tout plein d'espoir qu'elle puisse éventuellement accepter. Parce que traîner dans le parc de l'académie, c'est risquer de croiser Russie, et de fait, de perdre définitivement le peu d'attention biélorusse qu'il avait pu capter. Ou pire, croiser Pologne, et avoir la certitude de finir le rendez-vous avec un pékinois blond branché sur secteur et greffé sur son dos, à brailler qu'il a faim/a soif/s'ennuie/réclame qu'on s'occupe de lui.
Mais pas dit que ça botterait la biélorusse. Parce que ça impliquait un déplacement, une activité quelconque sur place, et un autre déplacement pour rentrer. A ses (magnifiques) yeux, ça ferait peut-être un peu long à se trainer un boulet bafouilleur.

"S-sinon, c'est pas grave... Je... Je suis t-tellement content que t-tu sois venue, c'est dé-déjà super... Euh... D... Dis..."

S'ensuivit une épouvantable bouillie de mots chaotiquement trébuchants et absolument paniqués, rigoureusement incompréhensibles. Une grande inspiration plus tard, rouge foncé et vibrant d'embarras, il tâcha de reformuler.

"E-est c-ce que j-je p... E-e-est c-ce que j-je peux t... te p-prendre l-l-la m-main ?"

Limite t'as l'impression qu'il lui demande la couleur de sa culotte tellement il est à deux doigts de l'évanouissement pour cause de tout le sang concentré à hauteur du visage.

… Alors que dans le fond, il a sans doute plus de chances d’apprendre de sa bouche la couleur de sa petite culotte que d’obtenir le droit de lui tenir la main.
… Bah quoi ?
De toute façon, nous n’y sommes pas encore. Comme elle sentait de nouveau une présence incommodante à ses côtés, Biélorussie eut un regard impatient et un petit air pincé lorsqu’elle entendit son prénom prononcé par Lituanie. Il semblait toujours à deux doigts de perdre conscience, voire de mourir, mais… de toute évidence il s’enhardissait. Biélorussie le remarquait, et ça ne lui plaisait pas du tout. Pourtant, elle ne menaçait pas encore d’exploser, preuve en fut la patience – certes glaciale mais patience quand même – avec laquelle elle lui répondit :

« Si tu veux. »
Et non pas : « On ira là où tu voudras. » La ville, c’est moins misérable que le parc, bien joué Lituanie – t’as des sous ?! Natalia ne s’en soucie pas vraiment dans l’absolu, mais sortir du complexe académique lui éviterait avec un peu de chance d’être surprise en compagnie de cet imbécile heureux.
Pardon, bientôt peut-être plus si heureux que ça. Biélorussie s’était soudain renfrognée. Elle ralentit le pas, puis s’arrêta tout à fait en songeant qu’une télécommande pour accélérer l’accouchement de ce type-là ne serait pas du luxe. Avant de ne plus songer du tout. Et de fixer sur Lituanie un regard qui ne présageait rien de bon.
Lui prendre la main… ?
... D’accord. OUI, contre toute attente, elle la lui tendit, et tu aurais flairé le piège, Lituanie, si tu n’avais pas été complètement con d’amour. Tu sais bien qu’elle ne va pas te laisser la prendre. Qu’elle va patiemment attendre ta tentative… Puis broyer ton espoir en retirant sa main pour te la coller en pleine poire.

[Pardon pour ce scandaleux retard >< ♥]

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