Wiener Bonbons [Irlande]

Roderich aurait bien des choses à dire à propos de ce pays dans lequel il se devait d’étudier. Davantage en mal qu’en bien. Bien sûr, il est fort rare qu’une nation ne regrette pas son pays d’origine. Oui, il pensait à ses montagnes majestueuses et ses vallées verdoyantes, ses opéras, ses bals…Mais plus qu'autre chose, les cafés. Ces cafés élégants, à la fois petits et délicats comme des petites pierres précieuses enfouies dans les recoins de sa capitale. Le café viennois sombre et crémeux, le verre d’eau traditionnel pour l’accompagner et bien évidemment, servies dans une assiette de porcelaine…

Les pâtisseries viennoises. Ces bijoux de sucre et de crème. Ces confiseries célèbres qui avaient même réussi à inspirer à Strauss le nom d’une valse.

Les sucreries de Vienne.

Mais, vraiment. Quel type de masochiste peut créer une chose à la forme aussi admirable, à la texture et à la surface délicatement sculptée de mille couleurs et enrubannée comme une relique…
Puis la MANGER ?

Seul un aristocrate aux goûts on ne peut plus raffinés et élitistes. Ce qui explique à peu près pourquoi notre cher aristocrate se trouvait dans une cuisine, un après-midi d’été, dans un tablier d’un blanc immaculé, à sortir du placard moult ustensiles de cuisine avec des gestes méticuleux, comme s’ils s’agissaient d’instruments chirurgicaux. Feuilletant à travers le livre de cuisine d’un air solennel.

Oui, la pâtisserie était un art noble qui se devait d’être pratiqué avec sérieux. La dégustation (tout à fait modérée) n’en serait qu’améliorée.

Depuis le début Abigail observait l'autrichien par la porte. Elle l'avait vu entrer dans la cuisine. Elle avait donc eu envie de voir ce qu'il s'apprêtait à faire. Sait-on jamais, avec Autriche, peut-être fantasmait-il secrètement sur les poêles ? Qui le savait... Sincèrement, l'Irlandaise se faisait des films à propos du jeune homme. Elle croyait qu'il fantasmait sur les règlements et sur les poêles... Après quoi ? Sur les gâteaux ? Enfin, oui Abigail avait l'esprit mal tourné et oui dès qu'elle faisait de quelqu'un sa "proie" quand il était question de quelque chose de louche, elle ne lâchait pas prise et continuait de se faire toutes sortes de scénarios loufoques ! Un jour, peut-être qu'elle tenterait de faire travestir le jeune homme même si cela était mission impossible ? Enfin, mission impossible venant de sa part, parce que venant de quelqu'un d'autre, qui savait !

La jeune fille continua d'observer l'Autrichien ... Comme elle était toute bien discrète, on ne la voyait pas vraiment. Seulement ses yeux et son front, mais bon. Au bout d'un moment, elle s'avança dans la cuisine. Là, elle allait tenter quelque chose de risqué et de totalement dangereux, ou pas. La demoiselle prit un élan et sauta sur Autriche. Pas trop fort pour éviter de gâcher ce qu'il faisait, les gâteaux, même à l'étape préparation, c'était sacré !

-Hey, le coin...Autriche ! s'exclama-t-elle en souriant.

La farine. Les œufs. Le sucre. S’enchaînant dans un ordre précis, celui de la recette. Etait-ce si étonnant que cela que notre autrichien aime cuisiner ? A la maison, il y aurait toujours eu quelque domestique pour cela [strike]ou Allemagne[ /strike]. Or, il y avait une certaine…satisfaction à faire cela de ses propres mains. Et il savait maintenant quelle farine avait le meilleur rapport qualité-prix, détail réellement non négligeable pour notre aristocrate détestant l’excès et le gaspillage. Versant avec soin dans le récipient la quantité exac—

Ah, rectification. Se faisant sauter dessus soudainement par une petite rousse énergétique et sursautant, cette action soudaine provoquant un nuage de poussière blanc qui vint se déposer avec insolence sur ses lunettes et le bout de son nez.


"...Mademoiselle Irlande...." Il essuya ses lunettes d’un geste méticuleux, les remettant rapidement avant de la regarder, d’un air suprêmement énervé et…à vrai dire, d’un air perplexe qui trahissait un peu son gêne d’avoir été interrompu à un moment où oui, à vrai dire...sa garde était baissée.

Impardonnable.

Vite, un sermon.


"Il est fort inconvenant de saluer les gens de cette manière !"

Allez sermonner quelqu’un avec le nez littéralement enfariné. Mais si si, Roderich peut.


"De plus, vous m’avez fait--" Il jeta un coup d’œil rapide à la préparation, et ses traits se détendirent un instant en voyant que les dommages étaient en réalité minimes. Fait rater ? Bagatelles.

Il ne ratait jamais ce qu’il faisait.

Et ce, malgré ces…perturbations imprévues.

Comme si ce n’était déjà pas suffisant de s’être fait sauter dessus et traiter –à moitié – de « coincé », il devait subir un outrage de plus…quoique ce geste là, Espagne l’y avait déjà accoutumé. Cette habitude fort indiscrète de toucher les gens ainsi du bout du doigt. Il rougit de gêne…heureusement que cela ne se voyait point sous la farine. Par contre, sa moue perplexe se vit bien lorsque il se fit comparer à…


"… Un chat… ? Je n’ai point de moustaches pourtant…" On ne saurait ce qui était plus amusant (ou navrant), ce constat quelque peu naïf ou l’air solennel avec lequel l’autrichien prononçait ces mots. Le sens de l’humour était un don rare en aile Germanique. Plutôt des cas de sérosité chronique. (Sauf pour Prusse. Qui était tout simplement un…cas).

Ainsi, cette remarque le dépassa, tout comme le regard insistant et étrangement brillant que la jeune rousse posait sur lui. Bien étrange…à moins qu’elle ne souhaite se faire pardonner pour son intrusion impolie ? Mais…il perçut la nervosité de l’irlandaise alors qu’elle se justifiait hâtivement.


"Je vois." dit-il d’un ton calme, ajoutant, à sa propre surprise… "Dans ce cas…voudriez-vous m’aider ?"

.....

Un moment de silence. Puis, un peu trop rapidement, "Afin de vous faire pardonner votre impolitesse, bien sûr," regardant ailleurs, gêné. Il ne manquait plus qu’elle croie qu’il proposait cela pour se faire ‘pardonner’, épris de quelque remords devant sa peur.

Comme si il pouvait être ‘gentil’. Hum.

Heureusement, somme toute, qu’il avait proposé cela. Il ne désirait pas réellement se retrouver avec des…moustaches de chat. Ce serait tout à fait peu aristocratique. Bien que la possession de moustaches de chat ne fasse pas partie des règles de non-bienséance, il supposait que c’était plutôt parce que les inventeurs de ces règles n’avaient point pris en compte l’existence d’une demoiselle avec des idées aussi...fantasques que celles d’Irlande. Il lâcha un léger soupir alors qu’elle se mettait à sautiller de manière tout à fait inutile. Aurait-il…fait une erreur ? Impossible.

"Bien…mais je vous prie de vous calmer. Et posez ce crayon…"

Comme s’il s’agissait d’une arme de destruction massive.
Il analysa ce qu’il pouvait lui faire faire. La réalisation de la pâte feuilletée était assez subtile…Un geste de travers pouvait tout faire rater. Et ce n’était pas comme si il ne faisait pas confiance à une irlandaise hyperactive mais…

"Pouvez-vous éplucher les pommes, pour commencer ?" Il la regarda d’un air légèrement dubitatif. "Si vous en êtes capable." Lui tendant avec une légère appréhension l’éplucheur avec l’impression de lui tendre une arme presque aussi dangereuse que le crayon. "Mais…faites très attention avec," rajouta-t-il d’un air inquiet, avant de devenir plus sévère : "Et n’oubliez pas de vous laver les mains avant ! Ainsi que les pommes ! Et épluchez ici, j’ai nettoyé au préalable !"

Faire de la pâtisserie avec Roderich Edelstein, ou : survivre dans une cuisine avec un maniaque germanique.

Au moins le rangement du crayon se fit sans aucun encombre. Bien que l’annonce qu’elle devait éplucher les pommes sembla réveiller quelques étincelles de mutinerie, alors qu’elle lui jeta un regard peu ravi. Il y répondit avec un air intransigeant. Chacun à sa place. Si il était le plus apte à traiter la pâte avec délicatesse – et faire une pâte feuilletée était une tâche fort délicate – elle était plus apte à faire des tâches requérant moins de compétences. N’était-ce pas normal ? Elle semblait toutefois accepter cette fonction avec suffisamment de bonne volonté, après un moment de flottement. Même si le rassurer en disant qu’elle ne tuerait personne lui arracha un soupir lassé.



"Voyons…j’espère bien…" Il haussa un sourcil. "Et puis, je ne suis point un…marin non plus."

Chat, capitaine…pourquoi diable il rappelait autant de choses à la demoiselle le dépassait quelque peu. Il l’observa du coin de l’œil en préparant le mélange, mais dût retourner toute son attention au récipient lorsqu’il s’agissait de…mélanger, justement. Créer un mélange homogène. Hmf. Facile à dire, de planter une cuillère en bois dans tout cela et en faire une pâte épaisse et élastique… ! Surtout, à vrai dire, lorsque l’on était un aristocrate avec au moins autant que force dans les bras que Grèce avait d’hyperactivité. Mais il ne perdrait pas la face devant une demoiselle, surtout Irlande qui lui cherchait toujours querelle. Et se mit à le mélanger lentement de toutes ses forces, déjà un peu rouge d’effort.

La jeune fille regarda l'Autrichien à lunette en haussant un sourcil de façon totalement trop sûre d'elle. Elle essayait de paraître sérieuse face à Autriche. Autriche était grand et sérieux, elle, bah, elle était moyennement grande et pas sérieuse du tout. Elle se sentait, comment dire, minuscule d'une certaine façon devant l'Autrichien. Donc la demoiselle aux cheveux roux adopta son ton le plus sérieux. Quoiqu'un ton sérieux sortant de sa bouche devenait plus une parodie d'un ton sérieux, puisque elle et sérieux, ça faisait cent-dix.

-Genre je vois que t'es trop pas un marin ! T'es même pas habillé... D'un uniforme de marin là. La jeune fille fit de grands gestes de bras pour montrer de quoi elle parlait, au passage, elle échappa une pomme au sol. Et en plus, t'es trop pas dans l'eau ! T'es mieux de dire que t'es pas un marin !

Abigail rigola. Elle était incapable d'avoir l'air sérieuse plus de dix secondes. La rouquine se pencha et ramassa la pomme...

-Oh.... Bah elle est morte la pomme !

La demoiselle alla jeter la pauvre pomme. C'était limite si elle ne lui récitait pas un poème, à cette pomme à moitié épluchée. Très rapidement, elle se remit à la tâche. C'était plus marrant que ça en avait l'air, éplucher les pommes. Elle regarda du coin de l'oeil ce que faisait l'Autrichien. Il avait l'air d'avoir l'habitude de faire des gâteaux...

Roderich allait répondre à de telles élucubrations futiles mais…ah…à quoi bon ? La demoiselle ne ferait que continuer dans les méandres de toutes les raisons pour lesquelles il n’était ni un chat, ni un marin, ni une serpillère ou un extraterrestre. Elle prenait tout beaucoup trop à la légère, à un point qui le rendait perplexe et irrité. Avait-il été ainsi à son âge ? Certainement pas. Et encore moins en cuisinant avec quelqu’un.

Certes, il n’avait jamais…cuisiné avec quelqu’un. Il fallait dire que cuisiner avec les domestiques, chez lui, aurait été bien mal vu.

Il se crispa alors que la pomme tombait et faillit sursauter d’indignation.

Un. Gâchis. Aristocratiquement. Inacceptable.


"Que…faites attention à ne pas avoir à faire mourir d’autres pommes, mademoiselle ! Elles ne poussent…E-enfin, je veux dire, l’argent pour les acheter ne pousse pas sur les arbres !" dit-il d’un ton tranchant et sévère, un peu rouge.

Oui, Edelstein, même si tu aimes très rarement mettre le nez dehors, tu peux être à peu près certain que les pommes poussent sur les arbres.

Il mélangea la pâte plus vigoureusement, avant d’arrêter et de saupoudrer de farine la surface du plan de travail déjà au préalable nettoyé, y étalant la pâte, les gestes de ses mains attentifs et rapides.


"Et dépêchez-vous donc si vous désirez manger à une heure raisonnable,"dit-il d’un ton strict. Peut-être un ton dur, oui, mais ne disait-il pas cela pour son bien ?

Personne ne semblait comprendre cela, ici…

Bizarrement.