La Valse du Danube Bleu [Hongrie]

Elle s'appuya contre le mur. Ferma les yeux. Les rouvrit. Inspira. Expira.
Elizaveta hésitait maintenant très sérieusement à se frapper la tête contre le mur. Mais, elle avait déjà eu assez de mal à mettre au point une apparence convenab--...Hmmmh, à s'habiller comme ça. On n'insistait jamais assez sur l'importance des vêtements et la complexité de trouver une tenue adaptée à la situation.
Surtout quand vous pensiez à la mode aussi souvent qu'aux mathématiques quantiques.
Et que vous aviez rendez-vous avec un mec pour qui la classe aristocratique était greffée à la peau, option XVIIIème siècle, gants et jabots inclus.
Et que vous n'étiez qu'une petite plébéienne, option garçon manquée pour qui l'uniforme de l'académie était ce que vous possédiez de plus élégant.
Non, ce n'était pas une blague (malheureusement). La jeune hongroise avait du pratiquer la spéléologie à un niveau avancé pour retrouver des vêtements qui feraient illusion pour ce qu'elle avait proposé à Roderich ...Une leçon de valse. Évidemment, au moment où elle l'avait fait, les détails techniques lui avaient complètement échappé.

-Du calme, Eli...

Elle tira sur sa jupe, dans une tentative désespérée pour qu'elle se transforme en robe de bal. Hum. La marraine de Cendrillon n'était apparemment pas dans le coin. Elle respira à fond une dernière fois avant de pousser la porte qui se trouvait à trois mètres d'elle.

-Bonjour Roderich !

Sourire aux lèvres et démarche assurée. Qui aurait pu deviner qu'elle était restée collée contre un mur pendant une demi-heure ?

Elle...n’avait rien à envier aux valseuses de Vienne ? Avec sa pauvre jupe et son corsage qui datait ? Soit la capitale autrichienne avait perdu de son élégance, soit la vision de Roderich était un peu subjective... Mais elle avait beau savoir que le compliment était juste de convenance (même si l’autrichien avait l’air étrangement grave) elle ne pu s’empêcher de sourire largement. Avec ce sourire qui n’avait absolument pas l’air distingué ni plein de modestie, bref rien à voir avec celui de la « demoiselle » bien élevée qu’elle était censée être. Tant pis. Ça lui faisait plaisir et elle le montrait, tout simplement. Elle n'était pas du genre à cacher sans cesse ses émotions, elle se fiait à ce qu'elle ressentait sans chercher à refouler ou dissimuler.
Ou alors seulement quand ça allait la mettre dans l'embarras...

Elizaveta s’approcha, un petit air de défi sur le visage malgré son sourire éclatant.

-Alors, monsieur ? Vous m’apprenez à danser ?

Lorsque elle se trouvait dans le périmètre d’Autriche, la jeune femme se prenait subitement au jeu des bonnes manières, elle qui ne voulait pas entendre parler des convenances ni des règles. Mais après tout, l’impératrice Elizabeth de Bavière dont elle partageait le prénom avait été une petite campagnarde avant de séduire son empereur de mari. Et sa spontanéité n’avait pas été un obstacle, loin de là ! Oui, Elizaveta jouait à la princesse avec Roderich, et oui, elle aimait beaucoup ça. Presque autant que prendre des photos compromettantes et lire des fanfics yaoi à 3h du matin.
Et oui, elle avait bien besoin de décompresser après avoir passé toute la journée à jouer les saintes nitouches (ou un truc qui y ressemblait vaguement). La seule chose qui la tourmentait un peu c’était le célèbre « et si… ». Et si l’autrichien se rendait compte de ses passes temps ? Et s’il ne voulait plus jamais s’approcher d’elle à cause de ça ? Et si, et si…Généralement ce genre de conversation intérieure finissait par : « Oh et puis bordel, je verrais bien quand ça arrivera ! ».

Un mouvement, un contact, un regard. Des yeux qui se croisent et se détournent. Un sourire, un autre sourire... Un ballet de froissements de cils et des gestes lentement dirigés. Un rayon de soleil perça et les éclaboussa de lumière. Des particules de poussières en suspension flottaient paresseusement autour d’eux, comme autant d’étincelles dorées. Elizaveta sourit à l’homme en face d’elle, les joues un peu rougies par leur proximité et cette main aux longs doigts minces de pianiste au creux de son dos. Elle battit nerveusement des paupières, ses cils s’abaissant rapidement sur son regard vert, et plaça son autre paume sur l’épaule de l’autrichien.

La jeune femme n’était pas du genre à se poser sans fin des questions, à s’interroger, se torturer, retourner le fond de son âme pour disséquer ses sentiments. Pour être totalement honnête, elle ne réfléchissait pas beaucoup. Impulsive, spontanée, irréfléchie. On pouvait la qualifier de beaucoup de chose mais pas l’accuser d’hésiter longtemps.

-Et maintenant ?

Elle pencha un peu la tête, souriant à demi, d’un air de Mona Lisa qui sait un secret et le garde pour elle. D’un air de fille-fée prête à toutes les malices. D’un air de coup de vent dans la chaleur de l’été. Elle avait beau prendre ce ton détaché, cette voix douce qu’elle avait toujours lorsqu’elle s’adressait à lui, ses muscles étaient tendus, noués. Nerveuse, elle était nerveuse... Et ça ne lui déplaisait pas, ce petit goût d’anxiété doux-amer dans le palais, ce coeur qui jouait une partition trop rapide, ce rouge qu’elle voyait envahir le visage de Roderich...