Amphi || Les anges n'aiment pas devenir vieux || Libre

Once I rose above the noise and confusion
Just to get a glimpse beyond this illusion
I was soaring ever higher
But I flew too high

Lysander attrapa doucement la pile de polycopiés qu'on lui tendait. Quelques feuilles se perdirent dans la bataille, virevoltant joyeusement jusqu'à une destination qui n'était connues que d'elles seules. Elles se promenaient dans un courant d'air, remontaient parfois avant de se poser au hasard un peu partout autour. Quelques élèves se penchèrent pour attraper les leurs et replongèrent aussitôt dans leur habituelle léthargie. Le jeune pays tira à son tour son polycopié puis passa la pile à son voisin, paisiblement endormi sur sa table depuis déjà une bonne demi-heure. Il passa aimablement sa main sur son épaule pour le réveiller, et au passage lui abandonner le lourd paquet de photocopies.

Un instant passa, puis il baissa finalement les yeux sur ce qui lui avait été distribué. C'était une représentation, en noir et blanc et fortement contrastée, de la Victoire de Samothrace. L'histoire de l'art était un des cours qu'il appréciait le plus malgré un cheptel de mauvaises notes. Il n'était définitivement pas bon en expression écrite, ce qui entraînait invariablement une note sous la moyenne, qu'importait si ce qui était contenu dans la copie soit vrai ou faux. La statue en deux dimensions le passionnait pourtant tout particulièrement ce jour là. Il s'attarda longuement sur l'effet du drapé mouillé qui couvrait le buste de la déesse Athena, puis sur ses longues ailes d'oiseau, semblables à celles des anges. Au final, les ailes des anges judéo-chrétiens venaient des antiques dieux et déesses romains. Ou même grecs. La déesse Athena était régulièrement représentée avec une grande paire d'ailes, majestueuses, imposantes.

Comme lui aussi aurait avoir. Des ailes pour s'envoler, pour voyager, pour tout voir tout savoir. La condition humaine était un obstacle net à la connaissance. Noyé sous ses mèches claires, il ne releva la tête que lorsque le professeur demanda à la classe si tout le monde avait eu son polycopié.Un vague murmure se fit entendre de part et d'autre de l'amphithéâtre. De toutes manières, quelle que fut la réponse, le professeur n'aurait pas pris la peine de vérifier parmi tout les élèves présents qui avait ou qui n'avait pas eu sa photocopie de la Victoire de Samothrace.

C'était un petit professeur. Petit, ramené sur lui-même, avec un nez dont le seul qualificatif pouvait être imposant. Il avait deux petits yeux d'un bleu incroyablement clair, au dessus desquels deux énormes sourcils semblaient vouloir à tout prix se rejoindre au dessus de son nez. Sa bouche était en revanche un mince filet, relativement souvent tordu en une expression agacée ou méprisante. Vêtu d'un costume violet, on ne pouvait pas dire qu'il passait innaperçut malgré sa toute petite taille et sa fâcheuse tendance à marcher replié sur lui même. Un petit moment, très bref, s'écoula, puis il ouvrit les tableaux d'un geste sec. 5 en tout. Il commença aussitôt à écrire en marmonnant des phrases qui ne pouvait être déchiffrées que par le premier rang. Lysander, lui, se contenta de noter avec application tout ce qu'écrivait le vieil homme. Il paraissait alors extrêmement concentré.